Une opportunité manquée : la Rébellion canadienne (1837-38)

Dans cet article, Maxime Dagenais explore le sujet de la Rébellion et comment elle est enseignée dans les écoles secondaires du Canada.

Écrit par Maxime Dagenais

Mis en ligne le 14 avril 2021

En novembre 1837, aprĂšs une impasse politique qui a paralysĂ© le Bas-Canada pendant des annĂ©es, les membres les plus radicaux du Parti patriote — un parti politique rĂ©formiste composĂ© principalement (mais non exclusivement) de Canadiens français — se sont rĂ©voltĂ©s contre le pouvoir britannique.

Souhaitant un gouvernement responsable et plus reprĂ©sentatif, les membres du parti ne croyaient plus que de telles rĂ©formes pouvaient ĂȘtre obtenues par des moyens pacifiques — le gouvernement britannique avait, jusque-lĂ , rejetĂ© la majoritĂ© de leurs demandes et avait mĂȘme ordonnĂ© l’apprĂ©hension de plusieurs leadeurs du parti. Une rĂ©bellion armĂ©e Ă©tait la derniĂšre option.

Bien que l’insurrection ait commencĂ© par une victoire des patriotes Ă  Saint-Denis, les forces britanniques et loyalistes, beaucoup mieux armĂ©es, ont dĂ©fait les patriotes Ă  Saint-Charles et Ă  Saint-Eustache. Entretemps, au Haut-Canada, William Lyon Mackenzie, Charles Duncombe et un groupe de rĂ©formistes, qui cherchaient Ă©galement Ă  obtenir un gouvernement responsable et plus reprĂ©sentatif, se sont rĂ©voltĂ©s.

Toutefois, au dĂ©but de dĂ©cembre 1837, ils sont dĂ©faits Ă  la taverne Montgomery Ă  Toronto et prĂšs de Brantford. AprĂšs ces dĂ©faites, plusieurs patriotes et rĂ©formistes se sont enfuis vers les États-Unis, et tout au long de l’annĂ©e 1838, avec le soutien de plusieurs sympathisants amĂ©ricains, ils ont participĂ© Ă  de nombreux raids contre les forces britanniques et loyalistes des Canadas, aboutissant Ă  deux dĂ©faites majeures en novembre et dĂ©cembre 1838, mettant ainsi fin Ă  la RĂ©bellion canadienne.

Aujourd’hui, la RĂ©bellion — du moins au QuĂ©bec — continue d’ĂȘtre un des sujets les plus populaires de notre histoire, alors que plusieurs livres, articles et thĂšses d’études supĂ©rieures sont produits chaque annĂ©e.2 De plus, les deux derniĂšres dĂ©cennies ont vu nos connaissances sur cet Ă©vĂšnement s’accroitre.

Par exemple, de nombreux historiens tels qu’Andrew Bonthius, Michel Ducharme, Louis-Georges Harvey et Albert Schrauwers ont sorti la RĂ©bellion du contexte canadien et l’ont placĂ©e dans des contextes transnationaux plus larges, tels que l’ùre des RĂ©volutions, l’AmĂ©rique jacksonienne, le monde atlantique et la diplomatie internationale. D’autres ont Ă©galement remis en question plusieurs rĂ©cits acceptĂ©s, tels que notre focalisation sur le conflit entre francophones et anglophones.3

Par exemple, Julien Mauduit et moi avons rĂ©cemment publiĂ© un livre — Revolutions across Borders: Jacksonian America and the Canadienne Rebellion — qui situait la rĂ©bellion dans le contexte de la dĂ©mocratie jacksonienne et dĂ©montrait, encore une fois, Ă  quel point ce conflit n’était pas ethnique, mais politique, opposant les partisans du rĂ©publicanisme (qui comprenait des Canadiens français, des Polonais, des Juifs, des Écossais, des Anglais, des Irlandais et des AmĂ©ricains) aux torys.4

L’historiographie de la RĂ©bellion a donc subi d’énormes changements depuis les deux derniĂšres dĂ©cennies. Cependant, ces changements ont-ils eu un impact au-delĂ  du monde universitaire ? Dans une mĂ©moire de maitrise de 2015, Jonathan Larocque a analysĂ© la reprĂ©sentation de la RĂ©bellion dans les manuels scolaires du QuĂ©bec entre 1982 et 2006 et a trouvĂ© que ceux-ci racontaient une histoire obsolĂšte.5

Depuis l’analyse de Larocque, il y a eu beaucoup de changements, incluant la parution de nouveaux manuels et une rĂ©forme du cours Histoire du QuĂ©bec et du Canada (2e cycle du secondaire) en 2017. Dans ce court texte, j’analyserai la reprĂ©sentation de la RĂ©bellion dans ces nouveaux manuels scolaires, dont plusieurs sont issus de cette rĂ©cente rĂ©forme.

Toutefois, j’irai plus loin et je comparerai avec les manuels les plus rĂ©cemment approuvĂ©s par les gouvernements de l’Ontario et de l’Alberta. D’abord, je dĂ©montrerai que mĂȘme si les manuels scolaires du QuĂ©bec racontent une histoire plus mise Ă  jour, tous souffrent gĂ©nĂ©ralement des mĂȘmes lacunes.

DeuxiĂšmement, je dĂ©montrerai que la place que la RĂ©bellion occupe dans les manuels scolaires reprĂ©sente la place qu’elle a dans nos identitĂ©s collectives conflictuelles. Et enfin, je conclurai avec quelques remarques expliquant pourquoi je pense que nous devons repenser la façon d’enseigner le sujet de la RĂ©bellion dans les Ă©coles secondaires du Canada.

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La mémoire collective et la Rébellion

Au QuĂ©bec, la RĂ©bellion est un des Ă©lĂ©ments les plus importants de notre histoire et de notre identitĂ© collective. Le terme « RĂ©bellion » est partout au QuĂ©bec : il est dans de nombreuses chansons, piĂšces de théùtre, poĂšmes et il est mĂȘme cĂ©lĂ©brĂ© avec une biĂšre, la 1837 d’Unibroue. Et pendant que dans le reste du Canada on cĂ©lĂšbre Victoria Day, au QuĂ©bec, chaque annĂ©e, on cĂ©lĂšbre plutĂŽt la JournĂ©e nationale des patriotes.

Nos librairies sont Ă©galement remplies de livres Ă  ce sujet. Ces livres, cependant, se concentrent presque entiĂšrement sur le QuĂ©bec et prĂ©sentent la RĂ©bellion comme une bataille entre les Canadiens français et les Britanniques. La derniĂšre monographie qui s’adresse au grand public, La brĂšve histoire des patriotes de Gilles Laporte, en est un exemple parfait.

Pour Laporte, dont les livres sont devenus le rĂ©cit dominant au QuĂ©bec, la RĂ©bellion Ă©tait beaucoup plus qu’une simple poussĂ©e pour une rĂ©forme gouvernementale, c’était un mouvement nationaliste et de protestation canadienne-française dont le but Ă©tait de se dĂ©barrasser des chaines de la domination britannique.

« En se portant Ă  la dĂ©fense d’une majoritĂ© historique de langues et de cultures françaises », explique Laporte, « les patriotes sont amenĂ©s Ă  rĂ©clamer des droits que nous jugeons aujourd’hui fondamentaux ». Cette perspective s’inscrit bien dans le cadre du nationalisme quĂ©bĂ©cois, qui est ancrĂ© sur l’importance de la culture et de la langue des QuĂ©bĂ©cois.e.s.

Hors du QuĂ©bec, c’est le contraire : la RĂ©bellion n’est pas un Ă©lĂ©ment important de l’identitĂ© canadienne-anglaise. Il n’y a pas de jour fĂ©riĂ© cĂ©lĂ©brant la RĂ©bellion au Haut-Canada. Elle n’est pas cĂ©lĂ©brĂ©e de la mĂȘme façon dans des piĂšces de théùtre, des livres, ou des poĂšmes. De plus, la RĂ©bellion a pratiquement disparu de leur historiographie.

LimitĂ©e Ă  quelques articles et manuscrits extra-universitaires, il y a dĂ©jĂ  trente ans que Colin Read a Ă©crit The Rising in Western Upper Canada, 1837-1838. Ce livre est non seulement l’un des derniers manuscrits universitaires sur ce sujet, mais ceux qui l’ont lu se souviendront qu’il ne donne pas une image trĂšs positive de la RĂ©bellion.

Et tout comme Laporte au QuĂ©bec, ce livre est devenu le rĂ©cit dominant au Canada anglais. Mackenzie, Duncombe et leurs partisans sont dĂ©crits comme des radicaux marginalisĂ©s, dĂ©sorganisĂ©s et sans soutien rĂ©el. La RĂ©bellion est dĂ©crite comme une anomalie, tout d’abord menĂ©e par Mackenzie pour rĂ©aliser un coup d’État impopulaire et ensuite par des AmĂ©ricains envahisseurs durant la Patriot War. Selon plusieurs historiens, l’importance de la RĂ©bellion est minimisĂ©e, car elle ne correspond pas Ă  l’image d’un Canada anglais loyal Ă  l’empire.6

La Rébellion dans les manuels scolaires au Canada

Les manuels d’histoire sont une partie importante de l’identitĂ© collective d’une nation : ils nous permettent de comprendre comment une population se perçoit et se situe dans l’histoire et ils peuvent nous aider Ă  comprendre leurs valeurs et leurs principes. Ceci est particuliĂšrement vrai pour les manuels scolaires sanctionnĂ©s par nos gouvernements provinciaux.7

Or, la place que la RĂ©bellion occupe dans les manuels scolaires Ă  travers le Canada reprĂ©sente trĂšs bien les identitĂ©s collectives trĂšs diffĂ©rentes que nous trouvons au QuĂ©bec et au Canada anglais. Et une analyse de ceux-ci va parfaitement reflĂ©ter ce que je viens de dĂ©crire. Puisque la RĂ©bellion est un Ă©lĂ©ment important de l’identitĂ© quĂ©bĂ©coise, elle prend beaucoup de place dans les manuels scolaires du QuĂ©bec.

Toutefois, comme elle n’est pas une partie importante de l’identitĂ© canadienne-anglaise, elle en prend comparativement beaucoup moins. NĂ©anmoins, ces manuels souffrent tous des mĂȘmes lacunes : ils racontent une histoire trĂšs locale alors que la dimension ethnique et nationaliste du conflit est au centre du rĂ©cit.

Québec

Au QuĂ©bec, la RĂ©bellion est enseignĂ©e en troisiĂšme secondaire et pour ce texte, j’ai considĂ©rĂ© quatre manuels approuvĂ©s par le gouvernement : Mis-Ă -Jour : Histoire du QuĂ©bec et du Canada ; MĂ©moire.qc.ca : Des origines Ă  1840 ; PĂ©riodes : Histoire de QuĂ©bec et du Canada, des origines Ă  1840 et Chroniques du QuĂ©bec et du Canada : des origines Ă  1840.

MĂȘme si la RĂ©bellion est bien reprĂ©sentĂ©e dans ces manuels — certains couvrant souvent plus de 100 pages — ils ne reflĂštent pas tous une historiographie mise Ă  jour, alors que certains racontent encore une histoire obsolĂšte. Ainsi, les connaissances de nos Ă©tudiant.e.s sur cet Ă©vĂšnement dĂ©pendent du livre qui a Ă©tĂ© assignĂ© par leur commission scolaire.

Bien que certains abordent le sujet de maniĂšre plus complexe, d’autres continuent de raconter une histoire strictement locale, se concentrant sur le conflit ethnique entre Canadien français et Britanniques. Ceci est particuliĂšrement le cas avec Mis-Ă -Jour, oĂč la RĂ©bellion est dĂ©crite comme un conflit opposant le « nationalisme canadien » et le Â« nationalisme britannique » et que « le fossĂ© se creuse entre les Canadiens francophones et anglophones ».8

Ignorant le rĂŽle du contexte international, les causes de la RĂ©bellion sont ancrĂ©es dans le contexte local, mettant l’accent sur l’immigration irlandaise et britannique, les crises agricoles et le conflit politique entre le Parti patriote et le Parti britannique.

Dans le cas de MĂ©moire.qc.ca, bien qu’il traite de la RĂ©bellion de maniĂšre plus complexe en offrant une brĂšve mention du contexte transnational et en dĂ©clarant qu’à « compter du milieu des annĂ©es 1830, [les patriotes] se tournent vers d’autres modĂšles politiques, tel celui des États-Unis », ceci reste une histoire locale.9

Il n’y a aucune mention des nombreuses rĂ©volutions qui ont eu un impact majeur sur les patriotes. On continue Ă©galement de reprĂ©senter le mouvement patriote comme un mouvement exclusivement canadien-français. Le Parti patriote reprĂ©sente la Â« nation » canadienne-française — qui est toujours dĂ©finie par la religion, la culture et la langue — et l’affirmation des « revendications » des Canadiens français qui a jouĂ© un rĂŽle primordial dans la RĂ©bellion.10

Les manuels qui représentent le mieux une historiographie plus moderne sont Périodes et Chroniques. Ces manuels peignent la Rébellion de façon beaucoup plus complexe et nuancée. En particulier, ils ne se limitent pas au contexte local, mais placent la Rébellion dans le contexte transnational.

Bien sĂ»r, le contexte local domine, mais ceux-ci proposent une discussion plus approfondie, quoique brĂšve, sur l’impact de mouvements transnationaux. Par exemple, dans Chroniques, il y a une discussion sur les « mouvements de libĂ©ration nationale » qui ont marquĂ© l’ùre des rĂ©volutions.

L’influence du rĂ©publicanisme et du libĂ©ralisme est mentionnĂ©e, ainsi que les mouvements populaires de Saint-Domingue, de Colombie, d’Argentine, de Pologne et de Belgique : « Les valeurs qui soutiennent ces mouvements de libĂ©ration sont rapportĂ©es par la presse Ă©crite au Bas-Canada. Elles suscitent l’intĂ©rĂȘt des dĂ©putĂ©s canadiens, mais aussi de la population de la colonie ».11

D’autre part, PĂ©riodes propose une discussion plus nuancĂ©e du conflit exclusivement ethnique proposĂ©e par Mis-Ă -Jour et MĂ©moire.qc.ca. Par exemple, dans sa section sur l’assemblĂ©e des six comtĂ©s, il y a une courte discussion des couleurs sur le drapeau patriote.

Alors que le blanc reprĂ©sente les Canadiens, le rouge les Britanniques et le vert les Irlandais, Â« le drapeau symboliserait le fait que les idĂ©es des patriotes rassemblent des gens de toutes ces communautĂ©s ».12 De plus, des personnages anglophones, tels que les frĂšres Nelson — Robert et Wolfred — sont bien prĂ©sentĂ©s comme leadeurs du mouvement.13 Robert Nelson est mĂȘme dĂ©crit comme celui qui a dĂ©clarĂ© l’indĂ©pendance du Bas-Canada en 1838.

Toutefois, malgrĂ© ces nuances, la dimension ethnique et nationaliste du conflit domine toujours dans PĂ©riodes et Chroniques. Les tensions sont souvent dĂ©crites entre « la population canadienne et celle d’origine britannique » et le mouvement patriote est dĂ©fini par l’affirmation du « nationalisme canadien » et des « revendications » des Canadiens français, dont « la protection de la langue française et du droit français » et « l’accĂšs d’un plus grand nombre de Canadiens aux postes de fonctionnaires ».14

Et bien que ces deux manuels mentionnent les frĂšres Nelson, ceux-ci restent des anomalies. Le mouvement est dĂ©crit en termes franco-canadiens. Reconnus pour porter la ceinture flĂ©chĂ©e, « les patriotes se sont donc rĂ©appropriĂ© le costume de l’habitant canadien [
] pour affirmer leur identitĂ© canadienne-française, en opposition aux Ă©lites anglophones qui dĂ©tiennent le pouvoir ».15

Ceci n’est peut-ĂȘtre pas surprenant, car les demandes du programme Histoire du QuĂ©bec et du Canada de troisiĂšme et de quatriĂšme secondaire ciblent le concept du nationalisme « canadien » et les tensions entre anglophones et francophones lorsqu’il est question de la RĂ©bellion.16

En proposant une vision dĂ©passĂ©e de notre histoire, le programme a un impact direct sur les manuels d’histoire, car ceux-ci doivent suivre le programme pour ĂȘtre approuvĂ©s. Et bien que le contexte transnational soit considĂ©rĂ©, il est limitĂ© Ă  un ou deux paragraphes.

Un Ă©lĂ©ment important manque ; c’est une discussion du soutien massif que le mouvement a reçu de la population amĂ©ricaine, alors que des milliers d’entre eux ont joint les loges des Chasseurs en 1838 pour libĂ©rer les Canadas de l’emprise britannique. Une rĂ©alitĂ© connue des historiens depuis dĂ©jĂ  plus d’un siĂšcle.17

Ontario

En Ontario, la RĂ©bellion est enseignĂ©e en septiĂšme annĂ©e (1re secondaire) et le seul manuel d’histoire figurant sur la Liste Trillium du ministĂšre de l’Éducation de l’Ontario, une liste qui comprend tous les manuels scolaires approuvĂ©s par le gouvernement, est Nelson History 7, publiĂ© en 2016.

La premiĂšre chose qu’on remarque est que la RĂ©bellion n’occupe pas la mĂȘme place comparativement aux manuels du QuĂ©bec : Nelson History 7 n’offre que 25 pages Ă  ce sujet. Ceci n’est pas trĂšs surprenant puisqu’elle n’occupe pas la mĂȘme place dans l’identitĂ© collective des Ontariens. De plus, il ne reflĂšte pas le mĂȘme niveau de nuance.

En fait, le chapitre « What Caused Unrest in Upper and Lower Canada ? » dĂ©bute de façon surprenante avec une discussion de l’Irlandais Daniel Tracey, le rĂ©dacteur en chef du Vindicator, un journal patriote, et de son rĂŽle dans le mouvement.18 Au lieu d’avoir choisi Ludger Duvernay ou Étienne Parent, deux importants rĂ©dacteurs en chef francophones, le manuel a choisi Daniel Tracey pour introduire la RĂ©bellion.

Ceci est une dĂ©cision trĂšs intĂ©ressante qui aurait pu mener Ă  une discussion fructueuse sur la composition ethnique du mouvement. Cependant, alors que l’histoire avance, le conflit entre francophones et anglophones devint le point central du rĂ©cit. Le Parti patriote est encore une fois dĂ©fini par l’affirmation de l’identitĂ© culturelle canadienne-française et des intĂ©rĂȘts des Canadiens français.

D’un cĂŽtĂ©, il y a la Clique du ChĂąteau, ou le « English-speakers », qui se battait pour conserver son pouvoir Ă©conomique et politique et de l’autre, le Parti patriote qui soutenait que « ce sont les francophones, et non les Britanniques, qui devraient contrĂŽler le Bas-Canada ».19

La confrontation entre les Fils de la libertĂ© et le Doric Club du 6 novembre 1837 est mĂȘme dĂ©crite comme une Ă©meute entre « rĂ©formateurs français » et « loyalistes britanniques », ignorant le fait que d’importants patriotes anglophones, tels qu’Edmund Bailey O’Callaghan, Ă©taient prĂ©sents et que les domiciles de patriotes anglophones, comme T.S. Brown, Joshua Bell et Robert Nelson, ainsi que les bureaux du Vindicator, ont Ă©tĂ© dĂ©truits.20

Et bien qu’il y ait quelques mentions du Dr Wolfred Nelson, il apparait comme une rare exception, sans explications sur l’appui d’un anglophone Ă  un mouvement « francophone. »

La RĂ©bellion est Ă©galement ancrĂ©e dans le contexte local. Par exemple, le chapitre « Demands for Change : 1837-1850 » dĂ©bute par une image d’un des moments les plus emblĂ©matiques de la RĂ©bellion : l’assemblĂ©e des six comtĂ©s d’octobre 1837. Toutefois, un des Ă©lĂ©ments les plus importants est coupĂ© : le drapeau amĂ©ricain.

Le drapeau français est conservĂ©, mais sans drapeau amĂ©ricain, on n’a pas le mĂȘme impact visuel. Cela aurait Ă©tĂ© une excellente occasion de discuter du contexte transnational. L’influence des rĂ©volutions française et amĂ©ricaine est briĂšvement mentionnĂ©e, mais les divers mouvements qui ont marquĂ© l’ùre des rĂ©volutions et l’influence du libĂ©ralisme et du rĂ©publicanisme ne le sont pas.

L’accent est donc placĂ© sur le contexte interne : les mauvaises rĂ©coltes, les difficultĂ©s Ă©conomiques dans les colonies et la structure politique coloniale.

Alberta

Enfin, en Alberta, la RĂ©bellion est Ă©galement enseignĂ©e en septiĂšme annĂ©e (1re secondaire) et le manuel que j’ai considĂ©rĂ© est Voices and Visions : A Story of Canada, un des deux manuels approuvĂ©s par le ministĂšre d’éducation de l’Alberta. Il n’est peut-ĂȘtre pas surprenant que la RĂ©bellion soit limitĂ©e Ă  seulement dix pages : elle figure encore moins dans la mĂ©moire collective des Albertains.

L’histoire que ce manuel raconte est donc trĂšs vague, peu dĂ©taillĂ©e, elle ignore plusieurs moments, contextes et personnages importants et reflĂšte une historiographie encore plus obsolĂšte. Les causes de la RĂ©bellion ne sont que trĂšs briĂšvement dĂ©crites et se limitent Ă  une mention du systĂšme politique colonial, du pouvoir politique limitĂ© de l’AssemblĂ©e lĂ©gislative et de l’autoritĂ© absolue du gouverneur gĂ©nĂ©ral et de ses alliĂ©s (la Clique du chĂąteau et le Family Compact).

Il s’agit donc d’une histoire trĂšs politique, sans aucune mention des crises Ă©conomiques ou des changements intellectuels et sociaux majeurs qui ont eu lieu dans les colonies. C’est une histoire Ă©galement trĂšs locale, sans mention d’évĂšnements transnationaux importants, tels que les rĂ©volutions française et amĂ©ricaine ou la montĂ©e du libĂ©ralisme et du rĂ©publicanisme au 19e siĂšcle.

Les racines du conflit sont Ă©galement ethniques. D’un cĂŽtĂ©, il y a le gouverneur et ses conseils exĂ©cutifs et lĂ©gislatifs composĂ©s des « anglophone friends and relatives of the governor ».21 De l’autre, il y a le Parti patriote, dirigĂ© par Louis-Joseph Papineau, qui exhortait les masses canadiennes-françaises Ă  prendre les armes contre les Britanniques.22

Discutant des causes de la RĂ©bellion, et plus prĂ©cisĂ©ment le pouvoir limitĂ© de l’AssemblĂ©e lĂ©gislative, le manuel ajoute que la situation « Ă©tait particuliĂšrement frustrante au Bas-Canada parce que les francophones Ă©taient gouvernĂ©s par des anglophones ».23 Et contrairement Ă  tous les autres manuels, on ne fait mĂȘme pas mention d’un des frĂšres Nelson !

Conclusion

En comparaison des manuels de l’Alberta et de l’Ontario, ceux du QuĂ©bec — particuliĂšrement PĂ©riodes et Chroniques — passent donc beaucoup plus de temps sur la RĂ©bellion et par consĂ©quent, ils sont plus reprĂ©sentatifs de l’historiographie actuelle. Ils considĂšrent, quoique briĂšvement, le contexte transnational et nuancent la dimension ethnique du conflit.

Toutefois, en gĂ©nĂ©ral, tous les manuels partagent les mĂȘmes lacunes : la dimension ethnique et nationaliste du conflit domine et ils racontent surtout une histoire locale. C’est pourquoi, comme mentionnĂ© en introduction, je pense que nous devons repenser la façon d’enseigner le sujet de la RĂ©bellion dans les Ă©coles secondaires du Canada.

Tout d’abord, la RĂ©bellion peut offrir un trĂšs bon exemple de multiculturalisme au Canada. La RĂ©bellion n’était pas un conflit entre francophones et anglophones. C’était un Ă©vĂšnement multiculturel, opposant les partisans de la rĂ©forme, de la dĂ©mocratie et du rĂ©publicanisme Ă  une Ă©lite conservatrice qui luttait pour conserver son autoritĂ© absolue sur la colonie.

Et les partisans de la rĂ©forme n’étaient pas seulement Canadiens français, mais Ă©galement Suisses, Irlandais, Écossais, Anglais, Juifs, Polonais et mĂȘme autochtones. Par exemple, on oublie souvent Ă  quel point la DĂ©claration d’indĂ©pendance du Bas-Canada de 1838 du Dr Robert Nelson Ă©tait progressiste pour l’époque.

Les populations autochtones, selon la dĂ©claration, « jouiront des mĂȘmes droits que les autres citoyens de l’État du Bas-Canada ».24 En fait, PĂ©riodes termine mĂȘme son chapitre sur la RĂ©bellion avec une brĂšve mention que les AbĂ©naquis auraient appuyĂ© les patriotes.25 Or, comme nos salles de classe deviennent de plus en plus multiculturelles, il est important que nous allions au-delĂ  du rĂ©cit canadien dominĂ© par les colons français et anglais.

DeuxiÚmement, alors que notre monde se globalise et est de plus en plus connecté, les phénomÚnes transnationaux ont une influence importante sur le Canada et parallÚlement, le Canada a un impact important sur les phénomÚnes transnationaux.

Nous faisons partie d’un systĂšme mondial complexe qui nous affecte tous les jours et il est important que nous comprenions son impact sur notre histoire. La RĂ©bellion fournit un exemple parfait pour Ă©tudier cette question. Les rĂ©formateurs et les patriotes n’étaient pas simplement influencĂ©s par le contexte social, Ă©conomique et politique local, mais ils ont Ă©tĂ© influencĂ©s par les mouvements et les idĂ©ologies transnationaux de l’ùre des rĂ©volutions et du monde atlantique.

De plus, la RĂ©bellion a eu un impact majeur en dehors du Canada et a mĂȘme menĂ© Ă  des changements sociopolitiques importants aux États-Unis. Elle offre donc une excellente occasion d’étudier la place du Canada dans le monde.

Enfin, elle est un moment clĂ© dans l’édification de la nation canadienne. Bien que, dans la perspective d’une insurrection armĂ©e, elle soit peut-ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme un Ă©chec — si on considĂšre la dĂ©faite des Britanniques comme le seul objectif —, elle a tout de mĂȘme Ă©tĂ© un moment majeur dans l’édification de la nation canadienne. Les objectifs des rĂ©formateurs ont survĂ©cu et les plus modĂ©rĂ©s, comme Robert Baldwin et Louis-Hippolyte La Fontaine, ont continuĂ© Ă  collaborer pour rĂ©clamer un gouvernement responsable, qu’ils ont finalement obtenu Ă  la fin des annĂ©es 1840.

Et comme nous le savons tous, cette victoire a prĂ©parĂ© le terrain pour la ConfĂ©dĂ©ration canadienne deux dĂ©cennies plus tard. Pourtant, Louis-Joseph Papineau, Robert Nelson et William Lyon Mackenzie sont des noms que l’on voit rarement dans les manuels scolaires lors des discussions sur l’édification de la nation canadienne.

Maxime Dagenais est un professeur adjoint adjoint Ă  l’Institut Wilson d’histoire canadienne/UniversitĂ© McMaster.1

Cet article est apparu Ă  l'origine dans la revue Enjeux de l’univers social, volume 16, numĂ©ro 2, dĂ©cembre 2020, p. 29-32. La revue est publiĂ©e par l’Association quĂ©bĂ©coise pour l’enseignement en univers social (AQEUS). 

L’association quĂ©bĂ©coise pour l’enseignement en univers social est une association qui regroupe au sein du mĂȘme regroupement autant ceux qui enseignent en univers social (primaire), qu’en histoire, en gĂ©ographie, en monde contemporain et en Ă©ducation financiĂšre (secondaire). Elle regroupe autant des enseignants que des conseillers pĂ©dagogiques, des enseignants du collĂ©gial, des didacticiens universitaires, des retraitĂ©s et des Ă©tudiants universitaires. Elle rĂ©pond ainsi au vƓu d’un grand nombre d’enseignants de retrouver sous la mĂȘme enseigne les disciplines et les programmes de l’univers social.


Notes

1.    J’aimerais remercier Julien Maudit, Catherine Duquette, William Teal et Laurie Pageau pour leur aide prĂ©cieuse. Je tiens Ă©galement Ă  remercier Penney Clark, Kristina Llewellyn et tous mes collĂšgues Ă  Penser historiquement pour l’avenir du Canada pour leurs commentaires Ă  l’Association d’Ă©tudes canadiennes oĂč j’ai prĂ©sentĂ© une premiĂšre version de ce projet. Cette recherche a Ă©tĂ© financĂ©e par la Subvention de partenariat no 895-2019-1006 du Conseil de recherches en sciences humaines, Penser historiquement pour l’avenir du Canada.

2.    Par exemple, MylĂšne BĂ©dard, Écrire en temps d’insurrections : pratiques Ă©pistolaires et usages de la presse chez les femmes patriotes (1830–1840) (MontrĂ©al : Les Presses de l’UniversitĂ© de MontrĂ©al, 2016) ; Maxime Dagenais, « “[T]Hose who had money were opposed to us, and those who were our friends were not the moneyed class.” Philadelphia and the 1837–38 Canadian Rebellions, » American Review of Canadian Studies 48, No. 1 (Printemps 2017) : 1–18 ; François Deschamps, La « RĂ©bellion de 1837 » à travers le prisme du Montreal Herald (QuĂ©bec : Presses de l’UniversitĂ© Laval, 2015) ; Olivier Guimond, « Louis-Joseph Papineau et la question seigneuriale : bilan d’une connaissance historiographique, » Bulletin d’histoire politique 25, 2 (Hiver 2017) : 122-145 ; Gilles Laporte, Brève histoire des patriotes (QuĂ©bec : Septentrion, 2015)

3.    Andrew Bonthius, « The Patriot War of 1837-1838 : Locofocoism With a Gun ? » Labour/Le Travail 52 (Automne 2003) : 9-43 ; Michel Ducharme, The Idea of Liberty During the Age of Atlantic Revolutions (MontrĂ©al : McGill-Queen's University Press, 2014) ; Louis-Georges Harvey, Le printemps de l’AmĂ©rique française : AmĂ©ricanitĂ©, anticolonialisme et rĂ©publicanisme dans le discours politique quĂ©bĂ©cois, 1805-1837 (MontrĂ©al : BorĂ©al, 2004) ; Albert Schrauwers, Union is Strength. W L. MacKenzie, the Children of Peace, and the Emergence of Joint Stock Democracy in Upper Canada (Toronto, University of Toronto Press, 2009) ; Yvan Lamonde, « Le Bas-Canada et Le Courier des États-Unis de New York, » Les Cahiers des Dix 56 (2002) : 217-233.

4.    Maxime Dagenais et Julien Mauduit, eds. Revolutions Across Borders : Jacksonian America and the Canadian Rebellion (MontrĂ©al-Kingston : McGill-Queen’s University Press, 2019) ; Julien Mauduit, « “Vrais rĂ©publicains” d’AmĂ©rique : les patriotes canadiens en exil aux États-Unis » (1837–1842) (ThĂšse de doctorat, UniversitĂ© du QuĂ©bec Ă  MontrĂ©al, 2016).

5.    Jonathan Larocque, « ReprĂ©sentation des rĂ©bellions de 1837 dans les manuels scolaires quĂ©bĂ©cois, » MĂ©moire de maitrise, UniversitĂ© de MontrĂ©al, 2015.

6.    Alan Skeoch, United Empire Loyalists and the American Revolution (Toronto : Grolier, 1982) ; David Mills, The Idea of Loyalty in Upper Canada, 1784-1850 (MontrĂ©al : McGill-Queen’s University Press, 1988) ; Norman Knowles, Inventing the Loyalists: The Ontario Loyalists Tradition and the Creation of Usable Pasts (Toronto : University of Toronto Press, 1997) ; Alan Taylor, The Civil War of 1812. American Citizens, British Subjects, Irish Rebels, & Indian Allies (New York : Alfred Knopf, 2010)

7.    Penney Clarke, « ‘A Nice Little Wife to make Things Pleasant:’ Portrayals of Women in Canadian History Textbooks Approved in British Columbia, » McGill Journal of Education 40, No. 2 (Printemps 2005), p. 242 ; Penney Clark, « Images of Aboriginal People in British Columbia Canadian History Textbooks, » Canadian Issues 4 (2016) : 47–51 ; Rose Fine-Meyer et Catherine Duquette, « Gaining Nationhood: A Comparative Analysis of Images Found in Ontario and Quebec History Textbooks, 1920 to 1948, » Historical Studies in Education/Revue d’histoire de l’éducation 29, No. 2 (Fall/automne 2017) : 48-73 ; Ruth Sandwell, To the Past : History Education, Public Memory, and Citizenship in Canada (Toronto : University of Toronto Press, 2006).

8.    Marc-AndrĂ© Lauzon et Benoit Maliette, Mis-Ă -jour : Histoire du QuĂ©bec et du Canada, 3e secondaire (Laval : Éditions Grand Duc, 2015), p. 144.

9.    Francis Campeau, Sylvain Fortin, RĂ©mi Lavoie, et Alain Parent, MĂ©moire.qc.ca : Histoire du QuĂ©bec et du Canada, 3e secondaire (MontrĂ©al : CheneliĂšre Éducation, 2018), p. 236.

10.    Ibid., p. 230 & 234.

11.    Ève Bernier Cormier, GeneviĂšve Goulet, Virginie Krysztofiak, Paul Ste-Marie, et Raymond Duchesne, Chroniques du QuĂ©bec et du Canada : Des origines Ă  1840, 3e secondaire (MontrĂ©al : Pearson ERPI, 2018), p. 425.

12.    Julie Charrette, GaĂ«tan Jean, Sabrina N. Fortier, Kevin PĂ©loquin, et Louis-Pascal Rousseau, PĂ©riodes : Histoire du QuĂ©bec et du Canada : des origines Ă  1840, 3e secondaire (Anjou : Les Éditions CEC, 2018), p. 430.

13.    Ibid., p. 428 & 437.

14.    Chroniques, p. 440 & 443.

15.    PĂ©riodes, p. 431.

16.    MinistĂšre de l’Éducation du QuĂ©bec, Programme de formation de l’Ă©cole quĂ©bĂ©coise. Enseignement secondaire. Histoire du QuĂ©bec et du Canada. TroisiĂšme et quatriĂšme secondaire (QuĂ©bec : Gouvernement du QuĂ©bec, 2017), p. 35-40. 

17.    Par exemple, Albert B. Corey, The Crisis of 1830-42 in Canadian-American Relations (New Heaven, Yale University Press, 1941) ; Edwin C. Guillet, The Lives and Times of the Patriots. An Account of the Rebellion in Upper Canada, 1837-1838, and The Patriot Agitation in the United States, 1837-1842 (Toronto, Thomas Nelson & Sons, 1938) ; Oscar A. Kinchen, The Rise and Fall of the Patriot Hunters (New York, Bookman Associates, 1956)

18.    Stanley Hallman-Chong, Charlene Hendricks, Theodore Christou, Rachel Collishaw, Julia Armstrong, Jan Haskings-Winner, Margaret Hoogeveen, Kelly-Anne Lee, Jannette MacKenzie, et Margaret McClintock, Nelson History 7 (Toronto : Nelson Educators, 2016), p. 223.

19.    « French-speaking people, not British, should be in control of Lower Canada. » Ibid., p. 255 & 229.

20.    Ibid., p. 230.

21.    Daniel Francis et Angus Scully, Voices and Visions : A Story of Canada (Don Mills, ON : Oxford University Press Canada, 2006), p. 140.

22.     Ibid., p. 140.

23.    Ibid., p. 139.

24.    Cette citation provient du troisiĂšme point de la DĂ©claration d’indĂ©pendance du Bas-Canada, rĂ©digĂ© par Robert Nelson en fĂ©vrier 1838.

25.    PĂ©riodes, p. 439.

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