Une opportunité manquée : la Rébellion canadienne (1837-38)
En novembre 1837, aprĂšs une impasse politique qui a paralysĂ© le Bas-Canada pendant des annĂ©es, les membres les plus radicaux du Parti patriote â un parti politique rĂ©formiste composĂ© principalement (mais non exclusivement) de Canadiens français â se sont rĂ©voltĂ©s contre le pouvoir britannique.
Souhaitant un gouvernement responsable et plus reprĂ©sentatif, les membres du parti ne croyaient plus que de telles rĂ©formes pouvaient ĂȘtre obtenues par des moyens pacifiques â le gouvernement britannique avait, jusque-lĂ , rejetĂ© la majoritĂ© de leurs demandes et avait mĂȘme ordonnĂ© lâapprĂ©hension de plusieurs leadeurs du parti. Une rĂ©bellion armĂ©e Ă©tait la derniĂšre option.
Bien que lâinsurrection ait commencĂ© par une victoire des patriotes Ă Saint-Denis, les forces britanniques et loyalistes, beaucoup mieux armĂ©es, ont dĂ©fait les patriotes Ă Saint-Charles et Ă Saint-Eustache. Entretemps, au Haut-Canada, William Lyon Mackenzie, Charles Duncombe et un groupe de rĂ©formistes, qui cherchaient Ă©galement Ă obtenir un gouvernement responsable et plus reprĂ©sentatif, se sont rĂ©voltĂ©s.
Toutefois, au dĂ©but de dĂ©cembre 1837, ils sont dĂ©faits Ă la taverne Montgomery Ă Toronto et prĂšs de Brantford. AprĂšs ces dĂ©faites, plusieurs patriotes et rĂ©formistes se sont enfuis vers les Ătats-Unis, et tout au long de lâannĂ©e 1838, avec le soutien de plusieurs sympathisants amĂ©ricains, ils ont participĂ© Ă de nombreux raids contre les forces britanniques et loyalistes des Canadas, aboutissant Ă deux dĂ©faites majeures en novembre et dĂ©cembre 1838, mettant ainsi fin Ă la RĂ©bellion canadienne.
Aujourdâhui, la RĂ©bellion â du moins au QuĂ©bec â continue dâĂȘtre un des sujets les plus populaires de notre histoire, alors que plusieurs livres, articles et thĂšses dâĂ©tudes supĂ©rieures sont produits chaque annĂ©e.2 De plus, les deux derniĂšres dĂ©cennies ont vu nos connaissances sur cet Ă©vĂšnement sâaccroitre.
Par exemple, de nombreux historiens tels quâAndrew Bonthius, Michel Ducharme, Louis-Georges Harvey et Albert Schrauwers ont sorti la RĂ©bellion du contexte canadien et lâont placĂ©e dans des contextes transnationaux plus larges, tels que lâĂšre des RĂ©volutions, lâAmĂ©rique jacksonienne, le monde atlantique et la diplomatie internationale. Dâautres ont Ă©galement remis en question plusieurs rĂ©cits acceptĂ©s, tels que notre focalisation sur le conflit entre francophones et anglophones.3
Par exemple, Julien Mauduit et moi avons rĂ©cemment publiĂ© un livre â Revolutions across Borders: Jacksonian America and the Canadienne Rebellion â qui situait la rĂ©bellion dans le contexte de la dĂ©mocratie jacksonienne et dĂ©montrait, encore une fois, Ă quel point ce conflit nâĂ©tait pas ethnique, mais politique, opposant les partisans du rĂ©publicanisme (qui comprenait des Canadiens français, des Polonais, des Juifs, des Ăcossais, des Anglais, des Irlandais et des AmĂ©ricains) aux torys.4
Lâhistoriographie de la RĂ©bellion a donc subi dâĂ©normes changements depuis les deux derniĂšres dĂ©cennies. Cependant, ces changements ont-ils eu un impact au-delĂ du monde universitaire ? Dans une mĂ©moire de maitrise de 2015, Jonathan Larocque a analysĂ© la reprĂ©sentation de la RĂ©bellion dans les manuels scolaires du QuĂ©bec entre 1982 et 2006 et a trouvĂ© que ceux-ci racontaient une histoire obsolĂšte.5
Depuis lâanalyse de Larocque, il y a eu beaucoup de changements, incluant la parution de nouveaux manuels et une rĂ©forme du cours Histoire du QuĂ©bec et du Canada (2e cycle du secondaire) en 2017. Dans ce court texte, jâanalyserai la reprĂ©sentation de la RĂ©bellion dans ces nouveaux manuels scolaires, dont plusieurs sont issus de cette rĂ©cente rĂ©forme.
Toutefois, jâirai plus loin et je comparerai avec les manuels les plus rĂ©cemment approuvĂ©s par les gouvernements de lâOntario et de lâAlberta. Dâabord, je dĂ©montrerai que mĂȘme si les manuels scolaires du QuĂ©bec racontent une histoire plus mise Ă jour, tous souffrent gĂ©nĂ©ralement des mĂȘmes lacunes.
DeuxiĂšmement, je dĂ©montrerai que la place que la RĂ©bellion occupe dans les manuels scolaires reprĂ©sente la place quâelle a dans nos identitĂ©s collectives conflictuelles. Et enfin, je conclurai avec quelques remarques expliquant pourquoi je pense que nous devons repenser la façon dâenseigner le sujet de la RĂ©bellion dans les Ă©coles secondaires du Canada.

La mémoire collective et la Rébellion
Au QuĂ©bec, la RĂ©bellion est un des Ă©lĂ©ments les plus importants de notre histoire et de notre identitĂ© collective. Le terme « RĂ©bellion » est partout au QuĂ©bec : il est dans de nombreuses chansons, piĂšces de théùtre, poĂšmes et il est mĂȘme cĂ©lĂ©brĂ© avec une biĂšre, la 1837 dâUnibroue. Et pendant que dans le reste du Canada on cĂ©lĂšbre Victoria Day, au QuĂ©bec, chaque annĂ©e, on cĂ©lĂšbre plutĂŽt la JournĂ©e nationale des patriotes.
Nos librairies sont Ă©galement remplies de livres Ă ce sujet. Ces livres, cependant, se concentrent presque entiĂšrement sur le QuĂ©bec et prĂ©sentent la RĂ©bellion comme une bataille entre les Canadiens français et les Britanniques. La derniĂšre monographie qui sâadresse au grand public, La brĂšve histoire des patriotes de Gilles Laporte, en est un exemple parfait.
Pour Laporte, dont les livres sont devenus le rĂ©cit dominant au QuĂ©bec, la RĂ©bellion Ă©tait beaucoup plus quâune simple poussĂ©e pour une rĂ©forme gouvernementale, câĂ©tait un mouvement nationaliste et de protestation canadienne-française dont le but Ă©tait de se dĂ©barrasser des chaines de la domination britannique.
« En se portant Ă la dĂ©fense dâune majoritĂ© historique de langues et de cultures françaises », explique Laporte, « les patriotes sont amenĂ©s Ă rĂ©clamer des droits que nous jugeons aujourdâhui fondamentaux ». Cette perspective sâinscrit bien dans le cadre du nationalisme quĂ©bĂ©cois, qui est ancrĂ© sur lâimportance de la culture et de la langue des QuĂ©bĂ©cois.e.s.
Hors du QuĂ©bec, câest le contraire : la RĂ©bellion nâest pas un Ă©lĂ©ment important de lâidentitĂ© canadienne-anglaise. Il nây a pas de jour fĂ©riĂ© cĂ©lĂ©brant la RĂ©bellion au Haut-Canada. Elle nâest pas cĂ©lĂ©brĂ©e de la mĂȘme façon dans des piĂšces de théùtre, des livres, ou des poĂšmes. De plus, la RĂ©bellion a pratiquement disparu de leur historiographie.
LimitĂ©e Ă quelques articles et manuscrits extra-universitaires, il y a dĂ©jĂ trente ans que Colin Read a Ă©crit The Rising in Western Upper Canada, 1837-1838. Ce livre est non seulement lâun des derniers manuscrits universitaires sur ce sujet, mais ceux qui lâont lu se souviendront quâil ne donne pas une image trĂšs positive de la RĂ©bellion.
Et tout comme Laporte au QuĂ©bec, ce livre est devenu le rĂ©cit dominant au Canada anglais. Mackenzie, Duncombe et leurs partisans sont dĂ©crits comme des radicaux marginalisĂ©s, dĂ©sorganisĂ©s et sans soutien rĂ©el. La RĂ©bellion est dĂ©crite comme une anomalie, tout dâabord menĂ©e par Mackenzie pour rĂ©aliser un coup dâĂtat impopulaire et ensuite par des AmĂ©ricains envahisseurs durant la Patriot War. Selon plusieurs historiens, lâimportance de la RĂ©bellion est minimisĂ©e, car elle ne correspond pas Ă lâimage dâun Canada anglais loyal Ă lâempire.6
La Rébellion dans les manuels scolaires au Canada
Les manuels dâhistoire sont une partie importante de lâidentitĂ© collective dâune nation : ils nous permettent de comprendre comment une population se perçoit et se situe dans lâhistoire et ils peuvent nous aider Ă comprendre leurs valeurs et leurs principes. Ceci est particuliĂšrement vrai pour les manuels scolaires sanctionnĂ©s par nos gouvernements provinciaux.7
Or, la place que la RĂ©bellion occupe dans les manuels scolaires Ă travers le Canada reprĂ©sente trĂšs bien les identitĂ©s collectives trĂšs diffĂ©rentes que nous trouvons au QuĂ©bec et au Canada anglais. Et une analyse de ceux-ci va parfaitement reflĂ©ter ce que je viens de dĂ©crire. Puisque la RĂ©bellion est un Ă©lĂ©ment important de lâidentitĂ© quĂ©bĂ©coise, elle prend beaucoup de place dans les manuels scolaires du QuĂ©bec.
Toutefois, comme elle nâest pas une partie importante de lâidentitĂ© canadienne-anglaise, elle en prend comparativement beaucoup moins. NĂ©anmoins, ces manuels souffrent tous des mĂȘmes lacunes : ils racontent une histoire trĂšs locale alors que la dimension ethnique et nationaliste du conflit est au centre du rĂ©cit.
Québec
Au QuĂ©bec, la RĂ©bellion est enseignĂ©e en troisiĂšme secondaire et pour ce texte, jâai considĂ©rĂ© quatre manuels approuvĂ©s par le gouvernement : Mis-Ă -Jour : Histoire du QuĂ©bec et du Canada ; MĂ©moire.qc.ca : Des origines Ă 1840 ; PĂ©riodes : Histoire de QuĂ©bec et du Canada, des origines Ă 1840 et Chroniques du QuĂ©bec et du Canada : des origines Ă 1840.
MĂȘme si la RĂ©bellion est bien reprĂ©sentĂ©e dans ces manuels â certains couvrant souvent plus de 100 pages â ils ne reflĂštent pas tous une historiographie mise Ă jour, alors que certains racontent encore une histoire obsolĂšte. Ainsi, les connaissances de nos Ă©tudiant.e.s sur cet Ă©vĂšnement dĂ©pendent du livre qui a Ă©tĂ© assignĂ© par leur commission scolaire.
Bien que certains abordent le sujet de maniĂšre plus complexe, dâautres continuent de raconter une histoire strictement locale, se concentrant sur le conflit ethnique entre Canadien français et Britanniques. Ceci est particuliĂšrement le cas avec Mis-Ă -Jour, oĂč la RĂ©bellion est dĂ©crite comme un conflit opposant le « nationalisme canadien » et le « nationalisme britannique » et que « le fossĂ© se creuse entre les Canadiens francophones et anglophones ».8
Ignorant le rĂŽle du contexte international, les causes de la RĂ©bellion sont ancrĂ©es dans le contexte local, mettant lâaccent sur lâimmigration irlandaise et britannique, les crises agricoles et le conflit politique entre le Parti patriote et le Parti britannique.
Dans le cas de MĂ©moire.qc.ca, bien quâil traite de la RĂ©bellion de maniĂšre plus complexe en offrant une brĂšve mention du contexte transnational et en dĂ©clarant quâà « compter du milieu des annĂ©es 1830, [les patriotes] se tournent vers dâautres modĂšles politiques, tel celui des Ătats-Unis », ceci reste une histoire locale.9
Il nây a aucune mention des nombreuses rĂ©volutions qui ont eu un impact majeur sur les patriotes. On continue Ă©galement de reprĂ©senter le mouvement patriote comme un mouvement exclusivement canadien-français. Le Parti patriote reprĂ©sente la « nation » canadienne-française â qui est toujours dĂ©finie par la religion, la culture et la langue â et lâaffirmation des « revendications » des Canadiens français qui a jouĂ© un rĂŽle primordial dans la RĂ©bellion.10
Les manuels qui représentent le mieux une historiographie plus moderne sont Périodes et Chroniques. Ces manuels peignent la Rébellion de façon beaucoup plus complexe et nuancée. En particulier, ils ne se limitent pas au contexte local, mais placent la Rébellion dans le contexte transnational.
Bien sĂ»r, le contexte local domine, mais ceux-ci proposent une discussion plus approfondie, quoique brĂšve, sur lâimpact de mouvements transnationaux. Par exemple, dans Chroniques, il y a une discussion sur les « mouvements de libĂ©ration nationale » qui ont marquĂ© lâĂšre des rĂ©volutions.
Lâinfluence du rĂ©publicanisme et du libĂ©ralisme est mentionnĂ©e, ainsi que les mouvements populaires de Saint-Domingue, de Colombie, dâArgentine, de Pologne et de Belgique : « Les valeurs qui soutiennent ces mouvements de libĂ©ration sont rapportĂ©es par la presse Ă©crite au Bas-Canada. Elles suscitent lâintĂ©rĂȘt des dĂ©putĂ©s canadiens, mais aussi de la population de la colonie ».11
Dâautre part, PĂ©riodes propose une discussion plus nuancĂ©e du conflit exclusivement ethnique proposĂ©e par Mis-Ă -Jour et MĂ©moire.qc.ca. Par exemple, dans sa section sur lâassemblĂ©e des six comtĂ©s, il y a une courte discussion des couleurs sur le drapeau patriote.
Alors que le blanc reprĂ©sente les Canadiens, le rouge les Britanniques et le vert les Irlandais, « le drapeau symboliserait le fait que les idĂ©es des patriotes rassemblent des gens de toutes ces communautĂ©s ».12 De plus, des personnages anglophones, tels que les frĂšres Nelson â Robert et Wolfred â sont bien prĂ©sentĂ©s comme leadeurs du mouvement.13 Robert Nelson est mĂȘme dĂ©crit comme celui qui a dĂ©clarĂ© lâindĂ©pendance du Bas-Canada en 1838.
Toutefois, malgrĂ© ces nuances, la dimension ethnique et nationaliste du conflit domine toujours dans PĂ©riodes et Chroniques. Les tensions sont souvent dĂ©crites entre « la population canadienne et celle dâorigine britannique » et le mouvement patriote est dĂ©fini par lâaffirmation du « nationalisme canadien » et des « revendications » des Canadiens français, dont « la protection de la langue française et du droit français » et « lâaccĂšs dâun plus grand nombre de Canadiens aux postes de fonctionnaires ».14
Et bien que ces deux manuels mentionnent les frĂšres Nelson, ceux-ci restent des anomalies. Le mouvement est dĂ©crit en termes franco-canadiens. Reconnus pour porter la ceinture flĂ©chĂ©e, « les patriotes se sont donc rĂ©appropriĂ© le costume de lâhabitant canadien [âŠ] pour affirmer leur identitĂ© canadienne-française, en opposition aux Ă©lites anglophones qui dĂ©tiennent le pouvoir ».15
Ceci nâest peut-ĂȘtre pas surprenant, car les demandes du programme Histoire du QuĂ©bec et du Canada de troisiĂšme et de quatriĂšme secondaire ciblent le concept du nationalisme « canadien » et les tensions entre anglophones et francophones lorsquâil est question de la RĂ©bellion.16
En proposant une vision dĂ©passĂ©e de notre histoire, le programme a un impact direct sur les manuels dâhistoire, car ceux-ci doivent suivre le programme pour ĂȘtre approuvĂ©s. Et bien que le contexte transnational soit considĂ©rĂ©, il est limitĂ© Ă un ou deux paragraphes.
Un Ă©lĂ©ment important manque ; câest une discussion du soutien massif que le mouvement a reçu de la population amĂ©ricaine, alors que des milliers dâentre eux ont joint les loges des Chasseurs en 1838 pour libĂ©rer les Canadas de lâemprise britannique. Une rĂ©alitĂ© connue des historiens depuis dĂ©jĂ plus dâun siĂšcle.17
Ontario
En Ontario, la RĂ©bellion est enseignĂ©e en septiĂšme annĂ©e (1re secondaire) et le seul manuel dâhistoire figurant sur la Liste Trillium du ministĂšre de lâĂducation de lâOntario, une liste qui comprend tous les manuels scolaires approuvĂ©s par le gouvernement, est Nelson History 7, publiĂ© en 2016.
La premiĂšre chose quâon remarque est que la RĂ©bellion nâoccupe pas la mĂȘme place comparativement aux manuels du QuĂ©bec : Nelson History 7 nâoffre que 25 pages Ă ce sujet. Ceci nâest pas trĂšs surprenant puisquâelle nâoccupe pas la mĂȘme place dans lâidentitĂ© collective des Ontariens. De plus, il ne reflĂšte pas le mĂȘme niveau de nuance.
En fait, le chapitre « What Caused Unrest in Upper and Lower Canada ? » dĂ©bute de façon surprenante avec une discussion de lâIrlandais Daniel Tracey, le rĂ©dacteur en chef du Vindicator, un journal patriote, et de son rĂŽle dans le mouvement.18 Au lieu dâavoir choisi Ludger Duvernay ou Ătienne Parent, deux importants rĂ©dacteurs en chef francophones, le manuel a choisi Daniel Tracey pour introduire la RĂ©bellion.
Ceci est une dĂ©cision trĂšs intĂ©ressante qui aurait pu mener Ă une discussion fructueuse sur la composition ethnique du mouvement. Cependant, alors que lâhistoire avance, le conflit entre francophones et anglophones devint le point central du rĂ©cit. Le Parti patriote est encore une fois dĂ©fini par lâaffirmation de lâidentitĂ© culturelle canadienne-française et des intĂ©rĂȘts des Canadiens français.
Dâun cĂŽtĂ©, il y a la Clique du ChĂąteau, ou le « English-speakers », qui se battait pour conserver son pouvoir Ă©conomique et politique et de lâautre, le Parti patriote qui soutenait que « ce sont les francophones, et non les Britanniques, qui devraient contrĂŽler le Bas-Canada ».19
La confrontation entre les Fils de la libertĂ© et le Doric Club du 6 novembre 1837 est mĂȘme dĂ©crite comme une Ă©meute entre « rĂ©formateurs français » et « loyalistes britanniques », ignorant le fait que dâimportants patriotes anglophones, tels quâEdmund Bailey OâCallaghan, Ă©taient prĂ©sents et que les domiciles de patriotes anglophones, comme T.S. Brown, Joshua Bell et Robert Nelson, ainsi que les bureaux du Vindicator, ont Ă©tĂ© dĂ©truits.20
Et bien quâil y ait quelques mentions du Dr Wolfred Nelson, il apparait comme une rare exception, sans explications sur lâappui dâun anglophone Ă un mouvement « francophone. »
La RĂ©bellion est Ă©galement ancrĂ©e dans le contexte local. Par exemple, le chapitre « Demands for Change : 1837-1850 » dĂ©bute par une image dâun des moments les plus emblĂ©matiques de la RĂ©bellion : lâassemblĂ©e des six comtĂ©s dâoctobre 1837. Toutefois, un des Ă©lĂ©ments les plus importants est coupĂ© : le drapeau amĂ©ricain.
Le drapeau français est conservĂ©, mais sans drapeau amĂ©ricain, on nâa pas le mĂȘme impact visuel. Cela aurait Ă©tĂ© une excellente occasion de discuter du contexte transnational. Lâinfluence des rĂ©volutions française et amĂ©ricaine est briĂšvement mentionnĂ©e, mais les divers mouvements qui ont marquĂ© lâĂšre des rĂ©volutions et lâinfluence du libĂ©ralisme et du rĂ©publicanisme ne le sont pas.
Lâaccent est donc placĂ© sur le contexte interne : les mauvaises rĂ©coltes, les difficultĂ©s Ă©conomiques dans les colonies et la structure politique coloniale.
Alberta
Enfin, en Alberta, la RĂ©bellion est Ă©galement enseignĂ©e en septiĂšme annĂ©e (1re secondaire) et le manuel que jâai considĂ©rĂ© est Voices and Visions : A Story of Canada, un des deux manuels approuvĂ©s par le ministĂšre dâĂ©ducation de lâAlberta. Il nâest peut-ĂȘtre pas surprenant que la RĂ©bellion soit limitĂ©e Ă seulement dix pages : elle figure encore moins dans la mĂ©moire collective des Albertains.
Lâhistoire que ce manuel raconte est donc trĂšs vague, peu dĂ©taillĂ©e, elle ignore plusieurs moments, contextes et personnages importants et reflĂšte une historiographie encore plus obsolĂšte. Les causes de la RĂ©bellion ne sont que trĂšs briĂšvement dĂ©crites et se limitent Ă une mention du systĂšme politique colonial, du pouvoir politique limitĂ© de lâAssemblĂ©e lĂ©gislative et de lâautoritĂ© absolue du gouverneur gĂ©nĂ©ral et de ses alliĂ©s (la Clique du chĂąteau et le Family Compact).
Il sâagit donc dâune histoire trĂšs politique, sans aucune mention des crises Ă©conomiques ou des changements intellectuels et sociaux majeurs qui ont eu lieu dans les colonies. Câest une histoire Ă©galement trĂšs locale, sans mention dâĂ©vĂšnements transnationaux importants, tels que les rĂ©volutions française et amĂ©ricaine ou la montĂ©e du libĂ©ralisme et du rĂ©publicanisme au 19e siĂšcle.
Les racines du conflit sont Ă©galement ethniques. Dâun cĂŽtĂ©, il y a le gouverneur et ses conseils exĂ©cutifs et lĂ©gislatifs composĂ©s des « anglophone friends and relatives of the governor ».21 De lâautre, il y a le Parti patriote, dirigĂ© par Louis-Joseph Papineau, qui exhortait les masses canadiennes-françaises Ă prendre les armes contre les Britanniques.22
Discutant des causes de la RĂ©bellion, et plus prĂ©cisĂ©ment le pouvoir limitĂ© de lâAssemblĂ©e lĂ©gislative, le manuel ajoute que la situation « Ă©tait particuliĂšrement frustrante au Bas-Canada parce que les francophones Ă©taient gouvernĂ©s par des anglophones ».23 Et contrairement Ă tous les autres manuels, on ne fait mĂȘme pas mention dâun des frĂšres Nelson !
Conclusion
En comparaison des manuels de lâAlberta et de lâOntario, ceux du QuĂ©bec â particuliĂšrement PĂ©riodes et Chroniques â passent donc beaucoup plus de temps sur la RĂ©bellion et par consĂ©quent, ils sont plus reprĂ©sentatifs de lâhistoriographie actuelle. Ils considĂšrent, quoique briĂšvement, le contexte transnational et nuancent la dimension ethnique du conflit.
Toutefois, en gĂ©nĂ©ral, tous les manuels partagent les mĂȘmes lacunes : la dimension ethnique et nationaliste du conflit domine et ils racontent surtout une histoire locale. Câest pourquoi, comme mentionnĂ© en introduction, je pense que nous devons repenser la façon dâenseigner le sujet de la RĂ©bellion dans les Ă©coles secondaires du Canada.
Tout dâabord, la RĂ©bellion peut offrir un trĂšs bon exemple de multiculturalisme au Canada. La RĂ©bellion nâĂ©tait pas un conflit entre francophones et anglophones. CâĂ©tait un Ă©vĂšnement multiculturel, opposant les partisans de la rĂ©forme, de la dĂ©mocratie et du rĂ©publicanisme Ă une Ă©lite conservatrice qui luttait pour conserver son autoritĂ© absolue sur la colonie.
Et les partisans de la rĂ©forme nâĂ©taient pas seulement Canadiens français, mais Ă©galement Suisses, Irlandais, Ăcossais, Anglais, Juifs, Polonais et mĂȘme autochtones. Par exemple, on oublie souvent Ă quel point la DĂ©claration dâindĂ©pendance du Bas-Canada de 1838 du Dr Robert Nelson Ă©tait progressiste pour lâĂ©poque.
Les populations autochtones, selon la dĂ©claration, « jouiront des mĂȘmes droits que les autres citoyens de lâĂtat du Bas-Canada ».24 En fait, PĂ©riodes termine mĂȘme son chapitre sur la RĂ©bellion avec une brĂšve mention que les AbĂ©naquis auraient appuyĂ© les patriotes.25 Or, comme nos salles de classe deviennent de plus en plus multiculturelles, il est important que nous allions au-delĂ du rĂ©cit canadien dominĂ© par les colons français et anglais.
DeuxiÚmement, alors que notre monde se globalise et est de plus en plus connecté, les phénomÚnes transnationaux ont une influence importante sur le Canada et parallÚlement, le Canada a un impact important sur les phénomÚnes transnationaux.
Nous faisons partie dâun systĂšme mondial complexe qui nous affecte tous les jours et il est important que nous comprenions son impact sur notre histoire. La RĂ©bellion fournit un exemple parfait pour Ă©tudier cette question. Les rĂ©formateurs et les patriotes nâĂ©taient pas simplement influencĂ©s par le contexte social, Ă©conomique et politique local, mais ils ont Ă©tĂ© influencĂ©s par les mouvements et les idĂ©ologies transnationaux de lâĂšre des rĂ©volutions et du monde atlantique.
De plus, la RĂ©bellion a eu un impact majeur en dehors du Canada et a mĂȘme menĂ© Ă des changements sociopolitiques importants aux Ătats-Unis. Elle offre donc une excellente occasion dâĂ©tudier la place du Canada dans le monde.
Enfin, elle est un moment clĂ© dans lâĂ©dification de la nation canadienne. Bien que, dans la perspective dâune insurrection armĂ©e, elle soit peut-ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme un Ă©chec â si on considĂšre la dĂ©faite des Britanniques comme le seul objectif â, elle a tout de mĂȘme Ă©tĂ© un moment majeur dans lâĂ©dification de la nation canadienne. Les objectifs des rĂ©formateurs ont survĂ©cu et les plus modĂ©rĂ©s, comme Robert Baldwin et Louis-Hippolyte La Fontaine, ont continuĂ© Ă collaborer pour rĂ©clamer un gouvernement responsable, quâils ont finalement obtenu Ă la fin des annĂ©es 1840.
Et comme nous le savons tous, cette victoire a prĂ©parĂ© le terrain pour la ConfĂ©dĂ©ration canadienne deux dĂ©cennies plus tard. Pourtant, Louis-Joseph Papineau, Robert Nelson et William Lyon Mackenzie sont des noms que lâon voit rarement dans les manuels scolaires lors des discussions sur lâĂ©dification de la nation canadienne.
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Cet article fait partie d’une sĂ©rie d’histoires parues initialement dans le magazine Enjeux de l’univers social de l’Association quĂ©bĂ©coise pour l’enseignement de l’univers social (AQEUS).